HWK : Témoignages de Soldats

Extrait de : 1915 : Journal du Général SERRET

 L'assaut : 23 mars 1915

" Quatre heures de préparation d'artillerie. Canons lourds et canons légers concentrent sur l'objectif des centaines de tonnes de mitraille. Les observateurs, juchés, sur les sapins, règlent le tir. Puis l'infanterie jaillit des tranchées, fantassins d'un côté, chasseurs de l'autre. Deux lignes, un fortin sont enlevés. Près de trois cents prisonniers sont poussés à l'arrière. Le sommet est là, rapproché, tentant, fascinateur, et loin pourtant. Mais l'ennemi, qui patiemment a formé lui aussi de résistantes troupes alpines, ne cesse pas de contre-attaquer, et déjà la nuit vient.  C'est assez d'organiser le terrain conquis. Le lendemain, c'est l'ennemi qui se jette sur nous. Un observateur a pu signaler à temps cette coulée de casques et de baïonnettes dans les bois déchiquetés et l'artillerie, avec une effrayante rapidité, les a pris sous son feu au sortir des boyaux. Le canon allemand se tait. La nuit du 23 au 24 est presque silencieuse. Il semble que la terrible montagne ait retrouvé la paix ".

La visite aux troupes : 24 mars 1915

" Ce matin, dès l'aube, et même avant, je suis parti pour voir et féliciter tous mes braves sur le terrain même du combat. La forêt de grands sapins, littéralement rasée par les projectiles, - les arbres abattus par les obus et les balles, sont à peu près déchiquetés, réduits en copeaux, - le sol retourné par notre artillerie, ensevelissant pêle-même armes, cadavres, vivants, mitrailleuses, lance-bombes, etc. On déterre tout cela peu à peu et on fait ainsi 60 à 80 nouveaux prisonniers. Cela a été une jolie affaire, c'est-à-dire un résultat sérieux : car, au point de vue de la beauté, on ne peut s'imaginer quelque chose de plus effroyable ".

Lettre du Général SERRET à sa femme : 27 mars 1915 

" Ces deux petites anémones bleues que je vous envoie, je les ai cueillies sur l'Hartmann, sur ce sommet qui a coûté tant de sang. Je les ai aperçues tout d'un coup, seules, timides, fraîches, au milieu de cette scène de désolation et d'horreur de lendemain de combat, comme seraient deux petits bébés au milieu d'un charnier de fauves. C'est bien un charnier en effet. Une vigoureuse attaque, le 23, nous avait presque amenés au sommet. On a recommencé hier, couronné et dépassé la crête. C'a été une jolie affaire, brillamment terminée. Le morceau est enlevé définitivement, et les gens qui le tiennent ne sont pas disposés à en laisser reprendre un pouce. J'ai passé ce matin en revue les prisonniers et les ai fait défiler au pas de parade. Cela fait bon effet sur les populations. Ce matin j'ai remis une médaille militaire à un bon petit bougre qui ne s'y attendait pas, dans les tranchées de première ligne encore à peine creusées. J'ai demandé aux hommes de sa compagnie si vraiment ce petit gars méritait la médaille. Tous ces braves types m'ont crié : " Oui, oui, il la mérite bien - Il n'y aura pas de jaloux ? ai-je encore demandé -  Non, non ". Alors je lui ai donné la médaille et j'ai embrassé ce brave petit tout rouge d'émotion sur ses deux joues couvertes d'une crasse épaisse : sueur, poussière, boue, fumée, tout cela accumulé depuis plusieurs jours. Mais, comme je l'ai dit à quelqu'un qui m'en faisait la remarque : la gueule d'un brave est toujours propre ".

 Champ de désolation : 12 septembre 1915

 " Ce matin je suis parti vers trois heures et demie pour aller voir le théâtre des combats des jours précédents et le résultat du bombardement. Cette hauteur que j'ai baptisée "Armand " est vraiment le champ de désolation le plus complet qu'on puisse voir : les tranchées, les boyaux de communication, les abris ou postes d'observation, aussi bien ceux des Boches que les nôtres d'ailleurs, sont en loques, informes, et là, dans ces trous, on reste à sa place, guettant l'ennemi qui nous guette. Je me suis traîné ce matin à plat ventre ou à quatre pattes dans quelques-uns de ces trous, et j'ai eu la joie de voir à tous mes types de bonnes figures souriantes. Ceux qui sont là se disent : je l'ai échappé belle encore une fois. Les petits blessés sont enchantés. Les grands blessés pensent qu'ils auraient pu être tués. Les morts ne se disent probablement rien : j'espère seulement que le bon Dieu leur fait un traitement de faveur quand il sait d'où ils viennent ".

 SERRET est blessé : 29 décembre 1915

" Il est 16 heures; les arrivées sont moins nombreuses. Nous proposons au général, qui accepte, de le transporter au poste de secours de Renié. Il risque d'être fauché par un nouvel obus; mais, de l'avis même du médecin, il est urgent qu'il soit soigné. Nous le mettons sur le brancard, il fait presque nuit. Nous avons 400 mètres à faire; il nous faut plus d'une demi-heure pour les franchir, car le boyau est complètement catastrophé; les rondins de soutien l'obstruent. Nous ne pouvons pas passer hors du boyau, à cause de la fusillade qui est vive. Nous arrivons enfin à l'ambulance du camp Renié. Le casque du général a roulé sur le brancard; un infirmier le place sur sa tête. Le général lui dit : "Pas comme ça, les étoiles en avant ... toujours ".

 

Recueillement à la Nécropole                                                                       Commémoration du Centenaire des Grands Combats à l'Hartmannswillerkopf le 21 décembre 2015

Extraits de récits de combattants français

 Extrait du récit du Général Bonnet de la Tour "Le 13 à l'Hartmann", lié à la tentative de dégagement des hommes du 28ème B.C.A. encerclés par les allemands au sommet du HWK le 19 janvier 1915 :                      

" Le 19 janvier 1915, à l'appel au secours du Commandant Coquet, deux compagnies du 13 et deux du 53, qui venait d'arriver dans la vallée de la Thur, furent immédiatement dirigées vers Silberloch. Guidées par des chasseurs du 28, elles s'engagèrent aussitôt. Tout ce qui restait dans la vallée avait été alerté et mis en route, le 19 au soir, vers l'Hartmann. Après six heures de marche en colonne par un, on parvint à Silberloch. Sous les sapins, sur la neige, les premiers cadavres attendaient une sépulture. Je dois l'avouer, j'eus l'impression que l'affaire de la Tête de Béhouille, combat sous bois du 3 septembre 1914, où le 13 avait laissé la moitié de ses effectifs, allait recommencer. Où était l'ennemi ? Partout et nulle part. On n'en savait rien ... Où était le sommet ? On voyait bien une pente neigeuse qui montait légèrement vers l'Est. C'était par là, mais où ? 200, 400, 800 mètres ?          

Nos trois compagnies se déploient : 6ème à gauche, 2ème au centre, 3ème à droite, et avancent en petites colonnes. Au bout de 150 mètres, les balles sifflent de tous les côtés, un feu précis, ajusté. On stoppe. Le Colonel Goybet qui vient d'arriver pour diriger les opérations, a un ordre de la Division : "L'affaire doit être terminée pour ce soir."    

Les clairons furent rassemblés et, sous les sapins, la sonnerie de la charge retentit. Baïonnette au canon, enfonçant dans soixante centimètres de neige molle, la ligne entière fit un bond. La fusillade éclata plus nourrie que jamais et tout se coucha. Alors, on entendit un clairon qui sonnait le refrain du 28, et les notes jadis joyeuses aujourd'hui lugubres avaient l'air de provenir de très loin. Nous étions encore loin du but...

Ce sentiment d'impuissance à délivrer des camarades était atroce. Il y a des moments où l'on a envie de se faire tuer. Je tentai un bond, jusqu'au pied d'un gros sapin. Deux chasseurs m'accompagnaient : l'un d'eux s'écroula une balle en plein front. Par quelqu'endroit qu'on attaquât, malgré les pertes et le courage, aucun effort ne parvenait à briser la ligne que les allemands avaient établie pour protéger l'investissement du sommet qu'ils se gardaient bien d'attaquer. 

Les chasseurs avaient sorti les pelles-bèches. Rapidement, chacun creusa son trou dans la neige. Inutile de décrire ce que pouvait être une nuit à 900 mètres d'altitude par -15 degrés. Le 21 janvier au matin, un nouveau bataillon alpin arrivait : le 27. Il attaqua entre les deux ravins du Sihl, et échoua, comme les autres. Le soir même, il était retiré.

Pour profiter de l'attaque du 27, le commandant Barrié avait demandé un nouvel effort au 13. Deux sections de la 2ème compagnie et deux sections de la 6ème sortirent de leurs trous de neige, purent faire une cinquantaine de mètres jusqu'à toucher le fil de fer que les allemands avaient déjà tendu. On put apercevoir, à quelques mètres, sur la crête, un retranchement à créneaux qui fut, par la suite dénommé le Fortin. Cette attaque donnait en plein sur la 7ème compagnie du 84ème régiment allemand qui occupait le fortin, et les quatre sections du 13 subirent en effet de grosses pertes.  

Le commandant Barrié, souvent en première ligne pour encourager ses chasseurs, rentrait à son P.C. de Silberloch quand une balle le tua net. Dans l'après-midi du 21, on entendit un coup de départ et l'on aperçut, dans le ciel, à travers les têtes de sapins, une énorme quille qui montait, puis piquait vers le sol et explosait : appelé tuyau de poêle par les chasseurs, c'était un minen. Ce minen et ses suivants n'étaient pas pour nous, mais pour les défenseurs du sommet de l'Hartmann. Le lieutenant Canavy et la moitié de ses chasseurs furent tués ... Le premier acte de la tragédie de l'Hartmann était terminé ...              

Le 23 janvier, le 7ème bataillon de chasseurs, commandant Hellé, tenta à son tour et sans succès une attaque devenue inutile. Le 7 resta sur place et releva une partie du 13ème. C'est ainsi que ma compagnie fut envoyée au Molkenrain (1150 mètres) où il y avait quelques abris... Ma compagnie ! A peine 70 chasseurs dont une vingtaine ne pouvaient mettre de souliers et marchaient les pieds enveloppés dans des chiffons et des bandes molletières. En ces deux journées des 20 et 21 janvier 1915, le 13 avait eu plus de cent tués et trois cents blessés auxquels s'ajoutèrent les jours suivants trois cents évacués pour pieds gelés. Le poste de secours était dans une baraque à Herrenfluh, au terminus du sentier aménagé. Les blessés pouvant marcher mettaient deux heures pour y arriver; quant à ceux qui ne le pouvaient, les brancardiers devaient faire un effort surhumain pour les transporter par le sentier verglacé de Silberloch à Herrenfluh : au delà, il fallait encore deux heures de brouette pour parvenir à la route et à l'auto qui les amenait à l'ambulance de Bitschwiller ".                                                                                                                                                                                                                  

Extraits de Carnet de Guerre d'un "poilu" savoyard - Fernand LUGAND - Sergent Fourrier de la 6ème Cie du 7ème Bataillon de Chasseurs Alpins. Après avoir participé aux combats du 21 et 22 décembre 1915 au HWK, il fut grièvement blessé le 24 avril 1916 lors des combats du Linge et put regagner son foyer après une longue convalescence.

" Nous continuons la descente et nous arrivons au ravin du Sihl. Nous sommes le 18 décembre 1915 et nous devons nous installer en plein air sous quelques sapins déchiquetés par les obus et les balles. Pas le moindre abri, pas la plus modeste cagna, pas la plus petite tranchée. C'est le moment ou jamais de se débrouiller car il fait froid ... Nous trouvons un petit coin que nous aménageons tant bien que mal ... Je fabrique un poêle avec des boîtes de conserve que je maintiens avec du fil de fer. Après avoir fait une petite une petite récolte de bois mort, j'allume mon feu. Ca va, nos membres engourdis reprennent de la vigueur."

21 décembre 1915 : " Nos artilleurs s'éveillent. De toutes parts le canon tonne, on croirait entendre un formidable roulement de tambour, les obus passant en sifflant au-dessus de nous et on les entend nettement s'écraser sur les positions ennemies. En effet, le soldat qui est habitué au feu discerne facilement la grosseur du projectile au sifflement provoqué par l'obus et il se rend compte s'il va plus loin ou si c'est pour lui ... Cette observation est très utile, car il est bien rare qu'un homme étendu à terre soit atteint directement par les éclats, aussi nous craignons davantage les fusants que les percutants ... Les éclats tombaient en ronronnant sur notre abri et tout autour sans dommage pour personne, tout le monde était terré et chacun avait pris la précaution de mettre le sac, bourré d'effets sur la partie la plus vulnérable du corps."

" Mon bataillon a pris position dans les anciennes lignes allemandes. On travaille dur et ferme à retourner les tranchées et à réparer les abris. Les brancardiers sont à l'ouvrage. Evacuation des blessés sans distinction de pays, Français et Allemands sont ramassés, mélangés et soignés au même titre. Les morts sont transportés au camp des Dames, un peu en arrière des lignes, où ils sont empilés en attendant que la fosse commune qui doit les accueillir soit assez vaste pour les contenir tous. Triste spectacle que ce soir de bataille."

25 décembre 1915 : " Il fait mauvais temps et la température est basse. Pluie, vent, neige, avec cela les obus tombent partout, les tranchées et les boyaux sont envahis par la boue glacée, le ciel est gris et triste, les sapins semblent plus noirs que jamais ... L'immense paysage porte le grand deuil de ces dures journées de combat."

Récit du Capitaine Paul AMIC, Cdt la 5ème Compagnie du 15ème Bataillon de Chasseurs Alpins :

30 juin 1915 : " Voici 72 jours que nous sommes en face du même créneau, s'appuyant sur les mêmes sacs à terre, en polissant le même rondin ".              

Octobre 1915 : " Pas lavé depuis trois semaines, sauf avec de la neige car il n'y a pas une goutte d'eau. Nous sommes boueux, hirsutes; on dirait des troupes noires dans les Vosges. Mais nous sommes là .... enracinés dans cette terre d'Alsace, que nous tenons !  "      

08 décembre 1915 : " S'il pouvait neiger ... J'aime mieux mourir à la tête de mes petits chasseurs, que d'être un de ceux qui, volontairement, se dérobent et restent à l'arrière ! Honte à eux à   jamais ! "

Extrait Lutte pour l'Hartmannswillerkopf - Chef d'Escadron DUPUY – Paris , Berger-Levrault 1932 :

" Tirs des mortiers de 370 : L'un d'eux fut pointé sur le château d'Ollwiller. Son champ de tir horizontal atteignait 12°. Son observatoire, unilatéral, était au Sudelkopf. Il fut amené en position à l'aide d'un caterpillar qui lui permit de franchir des pentes atteignant 17% se trouvant sur son trajet. Il tira sur le château d'Ollwiller à 7540 mètres avec un site de -260. Au troisième coup, un incendie se déclarait à l'objectif. Au neuvième coup, l'angle de réglage était obtenu. Après seize nouveaux coups, le tir fut reporté progressivement sur le point 653 (Serpentinnweg, à 300 mètres sud-ouest de la courbe 1) ; 08 coups furent tirés sur ce point. Le deuxième mortier fut orienté sur Wattwiller. Ses objectifs étaient l'Hôtel des Bains et le Château dont les souterrains servaient d'abris à l'ennemi. L'observatoire axial était à l'Herrenfluh ".

Extraits de récits de combattants français

Extraits des Carnets de Jean-Louis Thomas prêtre-soldat au 334ème Régiment d'Infanterie :

Dimanche 19 septembre 1915 : " A 2 heures du soir, alerte et départ précipité pour le camp Duvernay, au col de l'Hartmann. Là, nous demeurons en réserve toute la nuit. La position de l'Hartmann n'a rien d'intéressant : c'est un vrai enfer que cet Hartmann : toute la nuit, ce sont des coups de fusils, de bombes et de grenades. Une attaque est décidée pour ce soir, pour reprendre le fortin perdu par le 213. Ce sont les chasseurs à pied du 15 qui attaquent. L'attaque échoue parce que préparée pas assez silencieusement et conduite pas assez rapidement. Pionniers et sapeurs, grenadiers et chasseurs ont fait leur devoir mais l'ordre a manqué dans le commandement. Résultat : deux disparus et quinze blessés environ, en pure perte. L'attaque a eu lieu vers 2 heures du matin. On s'attendait à une contre-attaque des Allemands, avec bombardement. Il n'en fut rien. Nous couchons chez les chasseurs ".

Mardi 21 septembre 1915 : " Beau temps. Hier soir, lutte à coups de grenades, de bombes et de pétards, accompagnée de fusillade et de cannonade sur l'Hartmann. Le 75 du Molkenrain se fait entendre; il y a alerte (10 heures du soir). Les shrapnells et les éclats d'obus des Allemands viennent tomber jusque sur notre barraque d'Herrenfluh, dont les tôles ondulées résonnent. Ce n'était qu'une simple alerte; il y a eu néanmoins, dit-on, une trentaine de chasseurs blessés aux créneaux par les grenades. Cause : un capitaine avait voulu essayer l'effet des grenades asphyxiantes. D'où réponse des Boches. Aujourd'hui, calme sur toute la ligne. Comme hier, ce matin et ce soir, la compagnie se rend au camp Duvernay pour la confection de chevaux de frise et les porte jusqu'aux tranchées de l'Hartmann. Nous restons encore à Herrenfluh ".

Vendredi 24 septembre 1915 : " Départ à 3 heures du matin pour l'Hartmannswillerkopf. Nous remontons sur le sommet de cette montagne escarpée par un boyau étroit et profond qui suit la pente en serpentant par la droite et traverse la crête dénudée. Quel spectacle présente à nos regards ce pauvre "Vieil Armand"! Ce sommet, naguère encore, en janvier, couvert d'une belle forêt de sapins, est presque complètement mis à nu par les obus et la mitraille. Les rares arbres survivants, espacés de 30 m environ chacun, portent tous la trace des balles et des obus; ils sont déchirés, coupés, dépouillés de leurs branches desséchés; on pourrait facilement les compter tant ils sont peu nombreux. Pauvre sapinière ! Le sol est littéralement labouré par les obus; pas un mètre de terre qui ne soit remué par eux. Que de sang, que de vies humaines a coûté la conquête de ce piton ! Par ailleurs, on se demande comment nos intrépides chasseurs ont pu s'y maintenir au milieu du bombardement continuel et comment les Allemands chassés du sommet ont pu s'accrocher aux pentes pour n'en être pas descendus. Les uns et les autres ont dû se creuser des tranchées, des niches et des terriers contre le bombardement, dans le sable remué par les obus, au travers des rochers et de la rocaille. Car le terrain, composé de sable, de roches et de pierraille, ne se prête nullement aux travaux de défense. De plus, les positions adverses sont très rapprochées, zigzaguant et comme enchevêtrées par suite des diverses vicissitudes des derniers combats livrés. Aux points où les tranchées sont les plus rapprochées, la distance qui les sépare n'est que de quelques mètres, 5 en certains endroits ".

Lundi 27 septembre 1915 : " Temps épouvantable toute la nuit, ce matin et tout le jour : pluie, grésil, vent. Tous les abris sont traversés par la pluie, beaucoup s'éboulent, par exemple celui du capitaine. Il en est de même pour la tranchée qui ne résiste ni au vent ni à la pluie. Ce matin, je suis allé au café. Le grand boyau central de sortie était plein d'eau et obstrué en cinquante endroits par des arbres abattus par le vent. Je n'ai pas eu froid dans mon abri d'artillerie grâce à un matelas que j'ai confectionné avec ma toile de tente et de la paille ".

Dimanche 03 octobre 1915 : " Temps frois, humide et couvert. Encore quelques grenades et bombes, et une torpille; pas de victimes. On travaille à la réfection des tranchées, à l'achèvement des abris de bombardement. Je reste planton et homme de soupe de la liaison. Nous sommes bien nourris; deux fois soupe, viande et légumes, café le matin, boisson à 10 heures et 5 heures (marc, café ou thé), trois quarts de vin, un dessert (confitures ou fromage); bien habillés : pantalon bleu de drap ou de velours, capote et vareuse bleu horizon, casque métallique de tranchée; bien munis : chacun un panier de grenades à notre créneau (grenades ou pétards), le fusil est un peu délaissé. Dans la confection des tranchées, nous employons les sacs à terre fabriqués par les femmes de France. Seuls le logement et l'abri laissent à désirer, à cause des difficultés spéciales au "Vieil Armand", ce bloc de rochers (rocher du Sommet, roche Sermet). Le lieu, malgré son danger et son peu de confort, commence à nous devenir familier ".

Lundi 04 octobre 1915 : " Nuit calme, journée pluvieuse. Apparition de la neige. [...] La lutte commencée avec des bombes, s'est continuée avec des obus et des torpilles. Elle a duré plus d'une heure. Pendant ce temps, nous sommes restés tapis dans l'abri de bombardement. Notre bougie s'est éteinte jusqu'à plus de 17 fois. Les obus sont tombés, en majeure partie sur la tranchée de Pierres, près de la demi-section de réserve et dans le boyau E. Il y a eu des torpilles sur la 19e, qui ont écrasé des abris. Deux abris ont ainsi été démolis, ensevelissant et écrasant leurs habitants, soit cinq hommes : deux du 57 et trois du 334. Nos torpilleurs ont riposté, tirant 96 torpilles sur les ouvrages allemands. Toute cette nuit, les mulets ont monté des torpilles de la vallée. Au matin, j'ai rencontré moi-même les corvées. J'ai rencontré aussi deux autres convois, funèbres ceux-là : les brancardiers emportant les morts. L'un d'eux avait la tête écrasée; un autre, moribond, avait les paupières toutes noires. Ah ! La guerre ! La guerre ! Quand donc les diplomates finiront-ils ce carnage, cette boucherie ! Vision de sang ! Que de sang, que de sang répandu ! Et pourquoi ? "

Samedi 16 octobre 1915 : " La préparation d'artillerie française dure environ trois heures, trois longues heures. Longues heures durant lesquelles nous devons rester terrés et tapis, accroupis presque les uns sur les autres dans trois abris trop étroits. L'artillerie allemande risposte énergiquement. J'ai déjà vu beaucoup de bombardement, je n'en ai jamais vus de si intenses. J'ai vu toutes les attaques faites l'Hartmann avec préparation d'artillerie, de loin évidemment : je n'en ai pas vu où l'artillerie ait tant tiré. Ce n'était pas seulement un bombardement mais c'est par rafales que les obus pleuvaient, en avant, en arrière, à droite et à gauche, sur nous, partout. On a rapporté qu'à la section territoriale et surtout à la roche Sermet où le bombardement allemand fut particulièrement intense, tout le monde pleurait, tous déchiraient leurs lettres, croyant leur dernière heure venue. Enfin, après trois heures de préparation, le tir de notre artillerie se ralentit et s'allonge, cependant que l'artillerie ennemie fait des efforts désespérés, voyant la partie perdue. C'est le commencement de l'attaque d'infanterie. Il est une heure du soir. Nous prêtons l'oreille : on entend le crépitement de la fusillade, le tir sec et saccadé des mitrailleuses, le bruit des grenades et des pétards. Cela dure ainsi quelques instants. Le tir semble se rapprocher. Sont-ce les Français ou les Allemands ? On sort, on écoute, on regarde. Tout à coup, un bruit de pas se fait entendre dans la tranchée. Qu'est-ce ? Nous tenons nos fusils en joue, le capitaine prend son revolver. Mais non : j'aperçois une baïonnette française, puis un soldat. Bravo ! Ce sont les chasseurs du 15ème. Nous sommes délivrés. Vivent les chasseurs ! [...] Alors, je sors sur le plateau pour aller voir ma section et aller chercher la soupe. Quel carnage ! Quel ravage de toutes parts ! La tranchée de Pierres et le boyau E sont presque détruits et comblés; des blessés, des cadavres, déchiquetés par la mitraille et les grenades, gisent de tous côtés. Mais nul coin n'a reçu tant d'obus que la roche Sermet, le rocher Moyret lui-mêmeest tout bouleversé. Les Allemands, ne connaissant pas le maniement de nos bombardes et torpilles, ont fait exploser tout le dépôt de ces munitions : ce sont les deux grandes détonations que nous avons entendues ce matin, vers 8 heures. L'explosion des deux mines a creusé deux grandes excavations de la grandeur d'une cave. Toute la soirée, toute la nuit, s'effectua la relève et le transport des morts et des blessés tant Français qu'Allemands. Il y a eu une centaine de morts chez les Français, dans les trois régiments, aux deux jours de la bataille. Les blessés sont innombrables."

Extrait de la correspondance de Paul GRARDEL, commandant le 229ème R.I. placé sous les ordres du colonel POUMAYRAC :

Le 03 décembre 1915 : " Que c'est dur : nos hommes ont bien du mérite. Les Boches doivent du reste avoir le même mérite car je suppose que le mauvais temps est pour eux comme pour nous [...]. Je commence d'évacuer plus de malades que de blessés [...]. Avec ce dégel et cette pluie, on trouve de tout, des corps, des ossements, des équipements que la terre rend dès qu'on creuse dans cette pommade. On dirait qu'on travaille dans de la colle à pâte ".

Le 07 décembre 1915 : " Et la neige et la pluie et les patrouilles dans la nuit noire et les pauvres vieux territoriaux qui passent leurs nuits sous la pluie à porter des rondins dans les boyaux où ils ont de la boue jusq'au genou ! Et les soupes froides et les bronchites et les rhumatismes et les colonels qui agacent leur personnel et le fatiguent ".

Le 25 décembre 1915, GRARDEL écrit à sa femme : " Je demeure au sommet de l'Hartmann dans l'endroit le plus ravagé, le plus désolé qui soit. Les officiers venus du Linge, du Reichacker, des endroits les plus fameux par leur désolation et leur marmitage, sont restés en stupéfaction ici. Hier, il y a eu un bombardement ininterrompu de toute la journée d'une violence inouïe, aujourd'hui plus calme [...]. Tout ce que l'imagination peut concevoir d'horreur se trouve sur cet espace maudit ".

Le 31 décembre 1915 : " Toute la montagne est déchiquetée, les hommes ne peuvent recevoir que de temps à autre les aliments froids. Ceux qui les préparent et ceux qui les portent le font au péril de leur vie. Tous les jours, il y en a de tués et de blessés et ils restent des heures dans de vagues trous d'obus pour se protéger contre l'infernal ouragan ".

Janvier 1916 : " Les opérations de l'HWK c'est du joli ! Les Boches ont repris leurs anciennes positions et tout est revenu comme avant, il n'y a pas de quoi tant chanter gloire, surtout avec les pauvres diables démolis. Il ne faut pas dire ça, bien entendu, mais je voudrais bien changer de climat ".

 

Extrait de la correspondance du Capitaine Pierre Manhès du 13ème Bataillon de Chasseurs Alpins, à l'Hartmannswillerkopf :

Le 08 mars 1915 : " C'est, dans le silence absolu de la neige et dans le calme plat, une bonne journée de néant. J'habite avec de La Goutte à quelque 300 m de la première ligne, une cagna chaude et bien close qui me paraît merveilleusement confortable. Elle a été construite par mon prédécesseur à la compagnie, le lieutenant Mouvello, tué à l'attaque du 27 février. Elle se compose d'un trou carré revêtu et recouvert de petits rondins. Quelques pelletées de terre matelassent le toit. Dans le fond, une sorte d'estrade recouverte de paille sert de lit. Au milieu, un poêle et trois planches forment table. Je n'ai jamais ressenti pareille satisfaction de vie animale ni joui à ce point du bonheur de manger et dormir, le cerveau vide de pensées, le corps effondré sur la paille, comme le boeuf de labour sur sa litière ".

Le 11 mars 1915 : " La brume et la pluie calment tout à fait les artilleurs et nous jouissons béatement de l'heure présente. On est dans la misère mais on vit ! Nos chasseurs, en ligne ici depuis janvier, sont d'une saleté repoussante. Habillés de vêtements extraordinaires, où les vestons à raies voisinent avec des vareuses de toutes couleurs et les pantalons à carreaux, avec toutes les variétés de culottes militaires, entortillés de cache-nez crasseux et de peaux de mouton grouillantes de vermine, barbus comme des citoyens conscients, ils sont hideux et attristants. Comme toujours, hélas !, la déchéance morale pointe derrière la déchéance physique. A la nuit, nous reprenons la faction au fortin ".

Le 17 mars 1915 : " Vers 8 heures, les Allemands nous bombardent avec du gros calibre et des crapouillots assez vigoureux. Le tir est d'abord très lent : un obus toutes les trois minutes. Notre cagna, si "obscènement" visible pendant que nous la construisions, est admirablement repérée. Un crapouillot effondre sa voisine immédiate, la cagna des agents de liaison. Fort heureusement, ces derniers sont tous en promenade dans leurs sections et les dégâts sont purement matériels. Nous évacuons notre gourbi et passons dans la tranchée. Cette opération découle certainement d'une inspiration heureuse : à peine avions-nous fait quelques dizaines de mètres qu'un crapouillot coiffe notre avec une précision mathématique et l'écrase. Nos cartes de bridge voltigent dans tous les azimuts et disparaissent; vêtements, couvertures, sacs, etc, tout est enterré. Seul, sur l'amas de décombres, l'insupportable réveil de Micheneau surnage, intact, et, comble de poisse, continue de marcher ".

Le 27 novembre 1915 : " Le froid continu est très dur. Je n'ai pas encore de cas de gelures aux pieds à ma compagnie. Je suis le seul du bataillon. Je crois très efficacement bonnes les mesures que j'impose à mes hommes : suppression des bandes molletières durant la nuit. Tous les matins et chaque soir avant la soupe, déchaussement et sautillement violent, pieds nus dans la neige, pendant vingt minutes. Puis séchage, friction et massage des pieds; enfin graissage de la peau et rechaussage. Les braves hommes encaissent tout cela avec la bonne humeur dont je suis plus reconnaissant que je ne pourrais le dire. Et pourtant il gèle dur ici. Cette nuit, il fait -20°C; je viens de le voir au petit thermomètre que j'ai accroché au chambranle de ma cagna ".

Le 25 décembre 1915 : ..." Vers 8 heures du matin, j'étais à mon poste de commandement, consistant uniquement en un gros trou d'obus de 210. A côté de moi était allongé le caporal téléphoniste Vincent avec son appareil. Nous subissions un terrible marmitage. Tout à coup, un 77 arrive dans notre trou, traverse la cuisse de ce pauvre Vincent et le cloue au sol sans éclater ! "Ne me touchez pas !" hurle ce pauvre type. Je n'en ai pas la moindre envie et je regarde le petit tube cylindrique sortir de 2 cm de la cuisse de ce pauvre Vincent ... Et le temps passe ainsi. Vers 9 heures 30, Vincent perd connaissance et délire de façon affreuse. 10 heures, le malheureux, toujours sans connaissance, pousse des hurlements atroces qui me bouleversent ... Je n'y tiens plus; je saisis l'obus, l'arrache et le jette au diable; il n'éclate toujours pas. Une demi-heure plus tard, les brancardiers viennent l'enlever; il me paraît dans le coma. Dans l'après-midi, sous un marmitage qui prend des proportions effarantes, je suis relevé et regroupe ma compagnie en réserve, en arrière de la crête, au "camp des Dames", où j'attends les ordres pour demain. La réaction de l'artillerie boche dépasse en violence tout ce que l'on peut imaginer. Les arbres - d'énormes sapins - disparaissent à vue d'oeil. La crête d'où nous sommes partis le 21 est coiffée d'un mur d'éclatement d'obus. D'ailleurs, sur 8 à 10 km de front et 4 à 5 de profondeur, c'est une véritable grêle. Je n'ai encore jamais rien vu de semblable. Et c'est Noël !!! "

 

 

Extraits de récits de combattants français

Témoignage de Julien ARENE du 372ème Régiment d'Infanterie en mai 1915 observant l'Hartmannswillerkopf depuis le secteur voisin du Sudel :

" A 1500 mètres de moi, un pic se dresse horrible, épouvantable : l'héroïque Vieil Armand. Une tristesse indicible étreint à la vue de ce kopf. Les arbres n'existent plus. Chez nous [au Sudel], on voit encore des troncs, un rameau épargné; là-bas, il ne reste plus rien, rien. La terre est remuée, bouleversée par les obus tombés pendant quatre mois, à raison de plus de six mille certains jours. Les tranchées font une ligne sombre tout autour du plateau. Sous le soleil ardent de midi, le Vieil Armand semble se tordre dans une affreuse convulsion. On dirait un volcan encore en activité, un volcan dont la lave aurait, les jours précédents, tout anéanti sur son passage ".

Extrait de Belhumeur de Jean MAROT du 334ème Régiment d'Infanterie à l'Hartmannswillerkopf en juillet 1915 :

" Dans la nuit du 11 au 12 juillet, cannonade énorme sur l'Hartmann, où s'allume un incendie qui embrase tout le sommet. C'est un spectacle extraordinaire, cette montagne en feu, où glissent des ruisseaux de flammes. Une montagne de fumée la coiffe lourdement , fantastique, noire et rouge et par éclats soudain toute blanche, quand jaillissent dessus les fusées éclairantes ".

Lettre d'André LARRUE du 27ème Bataillon de Chasseurs Alpins du 29 avril 1915 relatant l'attaque du 06 avril 1915 :

" Nous étions à un endroit assez calme, les Boches étant à 500 mètres de nous quand la veille de Pâques comme apéritif on nous annonce que le soir même, on montait à la crête qui était tout près, pour nous emparer par un assaut à la fourchette, d'un fortin Boche qui n'était qu'à 90 mètres de nos tranchées. Vous pensez si cette nouvelle nous avait assombris surtout à l'idée de faire l'assaut le jour de Pâques. Nous quittâmes donc nos positions à minuit après avoir bu le café et nous arrivions sur la crête à 2 heures du matin où nous nous reposâmes dans des cahutes en attendant ... Heureusement le matin il pleuvait. Le temps était sans doute défavorable. Nous en avions l'espoir, mon caporal chantait tristement "Salut à mon dernier matin" ce qui nous rendait encore plus tristes. A 10 heures nous mangeâmes. On nous donna des brioches, du malaga et des fruits confits en l'honneur de Pâques. Vous pensez de quel appétit on mangeait, quand on vint annoncer que l'attaque était remise à cause du mauvais temps qui gênait l'artillerie. Du coup l'appétit revint et la soirée se termina assez joyeusement. Deux jours la partie fut remise ... Enfin un matin le soleil brilla. C'était pour aujourd'hui. L'artillerie devait bombarder à partir de 1 heure et l'assaut fut fixé à 4 heures. On fit donc ses préparatifs et advienne que pourra. A 1 heure, nos grosses pièces entrèrent en branle puis peu à peu le bombardement augmenta. Les Boches ripostèrent mais sans faire grand mal tandis que nos obus tombaient en plein chez les Boches. Bientôt tout gronda. Les obus, les bombes, les torpilles aériennes faisaient voler les arbres en l'air et les pierres aussi. Ce bombardement énergique nous donna courage. 4 heures moins dix, en place ! Les obus Boches pleuvaient sur nos tranchées. Des blessés font demi-tour, la figure pleine de sang. 4 heures. Attention. "En avant". Ce cri retentit formidable. On court à l'assaut. Les balles pleuvent. Ca ne fait rien on nous a fait boire 1/2 quart d'eau de vie. Nous courrons. Nous bravons tout. D'un seul bond le fortin est entouré. Il n'est plus qu'un amas fumant de pierre et de cadavres de Boches affreusement mutilés. Nous le franchissons. Les Boches fuient. Tout à coup, je me retrouve nez à nez avec un sous-officier Boche qui me braque son revolver. Froidement, je lui enfonce ma baïonnette en pleine poitrine, craac ! J'y ai mis tant de force que le canon du fusil est entré aussi. Je ne sais plus la retenir. Vite je prends le fusil d'un mort et au galop. Nous poursuivons les Boches qui fuient éperdus. Certains fuient, certains sont encore dans les baraques. Dès qu'ils nous voient ce sont des cris et des pleurs. De tous côtés "Kamarades ! Kamarades françous - Nix Kapout ! Nix Kapout !" . Nous faisons aussi 200 prisonniers. En avant toujours, on est loin. On ne sait plus où l'on est. Nous descendons vers la plaine de Mulhouse. Nous sommes à moitié pente et vite avec nos outils portatifs nous commençons à nous creuser une tranchée en cas de contre-attaque. Tout à coup un cri retentit : "Tous les chasseurs en bas ! Tous les chasseurs en bas !". On avance encore. Les Boches sont en débandade. Nous arrivons à un chemin dans le bois. On s'arrête là, la position est magnifique. Au-dessous la pente est raide alors vite, on fait la tranchée. Pas de repos avant qu'elle ne soit finie. C'est l'intérêt de tous. Il y a des pierres. C'est dur, on redouble. A dix heures du soir elle est finie. Nous mangeons un morceau de ce que nous avons dans nos musettes. Tout est calme. Plus un coup de fusil. On place des sentinelles. Les étoiles brillent et le temps est doux. Je m'enveloppe dans mon manteau ainsi que mes camarades et, le fusil à la main, je m'endors dans le fond de la tranchée ".

Extrait du journal d'Alice SCHICKLER, jeune alsacienne de PFASTATT :

Vendredi 02 août 1918 : Ce matin, peu après 07 heures, nous avons vu un superbe spectacle. Des avions ennemis faisaient des cercles au-dessus du ballon qui flottait très haut dans le ciel. Mais, du sol, on leur a violemment tiré dessus avec des canons-revolver. Soudain, l'enveloppe du ballon a commencé à brûler. L'observateur a pu s'échapper à temps en sautant en parachute. Le parachute est descendu vers le sol comme un nuage blanc. L'enveloppe en feu s'est lentement inclinée vers le sol en laissant derrière elle un nuage de fumée. Plus tard, on a raconté que l'incendie aurait été provoqué par nos propres canons-revolver.

Lundi 05 août 1918 : Depuis hier, un nouveau ballon est en l'air. Un tel ballon représente une valeur de 30000 Mk. Les avions qui mettent le feu aux ballons captifs sont pilotés par des femmes américaines téméraires. Et à quelle vitesse cela se passe ! Comme des rapaces qui tournent autour de leurs proies, celles-ci volent autour des ballons et soudain, elles s'en vont, et le ballon est en feu.

Jeudi 22 août 1918 : Ce matin, Aline et moi, nous sommes allées au champ de pommes de terre avec la charrette car papa récolte les pommes de terre nouvelles. Nous étions en-bas, près du chemin de croix, quand j'ai soudain vu qu'un avion ennemi tournait au-dessus de Schönsteinbach. Nos canons de défense aérienne lui ont violemment tiré dessus. Mais l'aviateur ne s'est pas laissé troubler et a continué à voler tranquillement. L'observateur a rejoint la terre ferme avec son parachute blanc et immédiatement après, le ballon a pris feu et il est descendu en flammes jusqu'au sol en laissant derrière lui un épais nuage de fumée. C'était beau à voir, ces grandes flammes et, à l'arrière, le panache de fumée. En peu de temps, le ballon de Lutterbach a été ramené vers le bas. Cela n'a pas empêché l'aviateur ennemi de tourner autour. D'un coup, on a vu monter du sol, en direction de l'avion, des raies blanches et droites comme des i qui sont ensuite retombées pour finir par se disperser et disparaître. Cela aussi était beau à voir. Le ballon a été retiré et n'a plus été visible de toute la journée.

Extrait des Lettres du Capitaine BELMONT :

26 décembre 1915 : Voilà plusieurs jours et plusieurs nuits que le ciel nous arrose avec une prodigalité toujours pareille. Il ne fait pas froid; le sommet chaotique et pelé du Vieil-Armand lui-même est complètement dégarni de neige, et là-haut comme ici, c'est la pluie impitoyable. Nous sommes toujours au même endroit, dans les sapins d'un petit vallon, au sud de l'Hartmann. Les abris que nous occupons, et qui, à vrai dire, méritent à peine cette appelation, sont envahis par l'eau et l'humidité et ont, en outre, l'inestimable avantage d'être très recherchés par les marmites boches. Dire que ce séjour est délicieux serait évidemment exagérer un brin, mais nous pourrions être plus mal et certains bataillons, qui ont mené les attaques ces derniers jours, pourraient nous envier.

Le temps abominable a entravé les opérations commencées le 21 décembre. Hier et aujourd'hui, canonnades violentes. Hier dans l'après-midi, peu s'en est fallu que nous encaissions un bel obus de 130 (article sérieux). Nous étions, les trois officiers de la compagnie et moi, dans un abri vaguement blindé, en attendant la fin du bombardement qui rendait la circulation à l'air libre tout au moins pittoresque. Deux marmites, coup sur coup, sont venues tombre à quelques mètres de l'abri; quelques minutes après, une troisième a frappé le bord de l'abri, qui a fléchi sans s'obstruer; nous avons été fortement secoués et complètement abrutis pendant quelques secondes dans une atmosphère de fumées âcres. Heureusement personne n'avait de mal, et nous en avons été quittes tous les quatre pour une bonne commotion sans importance et des bourdonnements d'oreille qui ont disparu peu à peu. Nous avons sauté dans un abri voisin, et le bombardement s'est calmé ou déplacé dans la soirée. Nous l'avons échappé belle pour le jour de Noël. -- Le capitaine Ferdinand BELMONT, cdt la 6ème Cie du 11ème B.C.A., sera frappé mortellement au bras par un éclat d'obus, alors qu'il se trouvait dans un abri, le 29 décembre 1915 --

 

Extrait des carnets de route du Lieutenant Philippe DRUHEN, 1ère compagnie de mitrailleuse du 152ème R.I. :

Le 25 mai 1916 : De la Roche Mégard qui est un peu en dessous de la Roche Sermet, celle du sommet, on a une vue merveilleuse. Du côté de la France, on voit d'abord le Silberloch, lui-même dominé par la masse sombre du Molkenrain, puis le sol s'abaisse pour former le col du Freundstein où se dessine de loin la tour en ruines du vieux château qui en commandait l'accès.

Ensuite, des crêtes boisées nous cachent la route de Kohlschlag et derrière se dresse la forme ronde et grise du Grand Ballon. De la montagne part un éperon vert sombre, le Sudel, qui s'avance directement devant nous vers la plaine. On suit très nettement, malgré la distance, le lacis des tranchées qui le partage en deux et où les obus ont abattu les sapinset raviné le sol. Puis le terrain s'abaisse et après quelques dernières ondulation, la plaine apparaît avec ses champs verts, ses bois plus sombres aux formes souvent géométriques, ses villages aux toits rouge où l'on devine un labeur tout pacifique. Mais voici que le décor change et en continuant son tour d'horizon, l'oeil heurte tout à coup la roche grise où, à quelques cent mètres de nous, le Boche se tapit. Il faut regarder attentivement à la lorgnette et en se cachant, bien entendu, pour apercevoir un étroit boyau et des créneaux pleins d'ombre à sa base. Le sommet de granit intact forme une couverture à l'épreuve de n'importe quel cataclysme.

Entre eux et nous, une sorte de ravin tout bouleversé, pleins de fils de fer, de troncs d'arbres, de pierrailles éboulées, monte en biais et aboutit au pied d'un énorme rocher qui nous surplombe de sa masse  imposante : la Roche Sermet.

Puis directement au-dessus de nous, une pente qu'on voit mal, mais qu'on devine être un infernal chaos de choses sans nom, brisées, pulvérisées, réduites à rien. Des troncs d'arbres émergent ça et là, se terminant en des fibres molles comme une corde trop usée. De végétation point. Tout est gris et terne et il faut regarder attentivement pour voir encore par endroits des taches d'une autre tonalité dont on ne peut détourner la vue tant elles vous frappent : des morts non encore ensevelis.

Des lignes sinueuses indiquent ça et là des tranchées déjà rebouchées par le bombardement. Quelques piquets portant deux ou trois fils de fer mal attachés. Telle est la pente de l'Hartmann.

Poésie des Tranchées

Charnier ----------- Lieutenant Henri Martin (1892 -1983)

Au fil des jours, j'ai vu plus d'un carnage horrible; Mais j'ai la vision de ce mont pris pour cible. Durant des mois entiers par des milliers d'obus. Que de flots de sang clair la sapinière a bus ! Où chantaient les grands bois dans la brise, il demeure des troncs d'arbres noircis qu'achèvent d'heure en heure. Les projectiles lourds des obusiers cachés faisant jaillir au loin la terre et les rochers; Ecrasant les cagnas de rondins et de pierres, en retournant comme des socs, les cimetières, où, près d'un carrefour, à l'ombre des forêts, sommeillent, à côté des chasseurs à bérets, les humbles fantassins d'un régiment sublime. (1) 

L'affreuse odeur des morts qui flotte sur la cime se mêle à la senteur des sapins mutilés. Plus de chants, les oiseaux s'étant tous exilés. De ce terrain sanglant, tourmenté, chaotique, et, comme au morne aspect d'une ruine antique, devant ce sommet brun, sinistre et dépouillé, l'on songe avec effroi : "Quel fléau l'a broyé ?"

(1) Le 152ème R.I.

Aux morts de l'Hartmann  ---------------- Lieutenant Henri Martin

Vos corps sont démeurés sur la Montagne nue, autrefois verdoyante et longtemps inconnue, aujourd'hui nouveau Golgotha !  Et vos petites croix dont le flot s'égalise, regardent le sommet, cette terre promise dont la conquête vous hanta. Un grand calme s'étend à présent sur la crête. Tous sont partis, plus de fracas .... Le vent s'arrête autour des derniers troncs debout. Et, malgré le roc nu, le soleil, la froidure, des vallons d'alentour l'immortelle verdure remonte à l'assaut de partout. Mais vous ne voyez pas les frêles saxifrages, s'entrouvrir au printemps sur les rocs sans ombrage, et l'été, vous ne voyez plus, drapant le mont sanglant de pourpres végétales, les grands cierges dressés des rouges digitales, ni les épilobes velus.

Lettre du 17 novembre 1914 d'Etienne Tanty du 129ème Régiment d'Infanterie

" Dans les tranchées de première ligne, on ne dort que le jour. De quatre heures du soir à sept heures du matin, il faut rester debout, sur pied, éveillé. Vous n'avez pas idée de la longueur de pareilles nuits. Aussi on n'a qu'un besoin à l'apparition du jour : se coucher, se ratatiner plutôt sous le couvre-pied dans un coin de tranchée et dormir. Les obus sifflent par-dessus la tête et c'est tout. Quand on passe quarante-huit heures comme ça et que pluie et vent ne cessent pas, qu'on n'a plus à la fin que des effets trempés, qu'on s'est roulé dans la glaise des pieds à la tête, qu'on n'a rien de chaud dans le ventre, qu'on a déjeuné avec deux sardines et une demi-boîte de singe, un bout de pain mouillé, qu'on dîne avec un morceau de gras froid , de la purée de patates froide et graisseuse et pour toute boisson un quart de jus que le cuisinier apporte à la faveur de la nuit - si l'on n'a pas reçu de percutant ! il faut s'estimer heureux. Ce fut le cas ces deux jours. Enfin la relève, et nous sommes arrivés à la ferme cette nuit sur les minuit. Le temps de dîner et l'on se couche ". Etienne Tanty 

" On poussait le cadavre dans un trou d'obus, quelques pelletées de terre dessus et à un autre. Comme caporal je devais enlever à chacun la plaque d'identité; certains l'avaient au poignet, d'autres suspendue à leur cou, ou bien dans une poche, quelle besogne ! Fouiller, palper ces cadavres et avec un couteau ou des cisailles couper le cordon ou la chaînette qui tenaient leur plaque d'identité. Il nous semblait accomplir une profanation et nous parlions à voix basse comme si nous craignions de les réveiller. L'escouade qui fut obligée d'enlever les morts qu'on piétinait depuis trois jours dans le boyau y mit toutes la nuit pour accomplir sa lugubre besogne, relever ces cadavres à moitié écrasés, crevés, mêlés avec la terre, empêtrés dans des fourniments, musettes, sacs ne formant pour quelques-uns qu'un bloc boueux, sanguinolent. Et dire que ce travail accompli on n'avait pas une goutte d'eau pour se laver  les mains, qu'il fallait frotter avec de la terre pour les nettoyer un peu. Mais notre répugnance s'émoussait, à force de vivre dans la saleté nous devenions pires que des bêtes ". Les carnets de guerre de Louis Barthas

 

 

 

 

Extraits de récits de combattants allemands

Extrait d'une lettre d'un soldat du Landwehr Infanterie Regiment 119, écrite dans le secteur de CERNAY mi-octobre 1914 : 

" Comme s'est facile de résumer en quelques lignes ces semaines. Comme s'est difficile en quelques mots de décrire ces mêmes semaines de dur labeur. Combien de fois étions-nous, anxieux, les armes à la main, prêts à intervenir après l'arrivée d'une dépêche qui s'avérait complètement fausse. Seuls ceux qui y étaient savent ce que cela signifie de rester des journées entières prêts au combat, tout en travaillant très dur en partant de zéro. Il est facile de travailler dans la terre glaise qui se rencontre beaucoup là-bas, mais il y a également des zones pierreuses qui sont plus difficiles à maîtriser. Le travail au grand air ne serait rien si, complètement vannés, on pouvait dormir tous les soirs dans un lit ! Seule une chose nous a été épargnée. Nous n'avons plus besoin de nous déshabiller et de nous habiller tous les jours ! Ni de se laver ! Presque on en oublierait de manger ! Que l'on puisse se contenter d'un seul repas chaud quotidiennement, et que celui-ci ne puisse être distribué que de nuit, qui aurait pu croire cela possible il y a quelques semaines ! Mais si cela doit être, alors tout est possible ... "

 

Témoignage du Lieutenant Rösch de la 9ème Kompanie du Lanwehr Infanterie Regiment 119 occupant CERNAY fin novembre 1914 :

" Heureusement le ravitaillement est bon. En plus, les habitants des lieux distribuent des douceurs. Ils se séparent de bon coeur de quelques bonnes bouteilles de vin. Mais les travaux de retranchements sont handicapés par la pluie et les inondations de la Thur et de la Doller. Pour faire avancer plus vite les travaux, des chômeurs ont été regroupés en compagnies de marche. Fortes de 400 hommes en moyenne, elles sont destinées à prendre à leur compte une grande partie des efforts dévolus aux troupes de première ligne. [...] Les premiers boucliers de tranchée sont livrés en petite quantité. C'est le 21 novembre que, pour la première fois, on réceptionna du ciment, des madriers, des queues de cochons, du fil de fer, de la tôle ondulée et du carton bitumé. On pouvait dormir dans les localités jusqu'à présent, lorsqu'on n'était pas de garde. C'est pourquoi on s'était contenté, dans les tranchées, de sortes de cagnas où l'on pouvait s'accroupir ensemble. Mais à cause des servitudes de garnisons, qui augmentaient dans les retranchements, on cherchait un moyen de se chauffer la nuit. On essaya de construire bon nombre de poêles de chauffage et tous les artisans des différentes compagnies furent mis à contribution pour réaliser des réchauds de différentes formes. Enfin arrivèrent des petits poêles de tranchée, qui étaient si pratiques et qui prenaient si peu de place. En plus, on pouvait y réchauffer des restes de nourriture; mais il fallait continuellement surveiller le feu, car le peu de bois que l'on pouvait y mettre était rapidement consumé ".

 

Extrait du journal de Fritz Klingenberg du Garde Schützen Bataillon (G.S.B.) le 11 mai 1915 :

" Le matin, vers 04 heures, je m'éveille brutalement du banc sur lequel je dormais, un obus vient d'exploser à quelques mètres de la tranchée. Coup sur coup, d'autres mines suivent, des tirs d'artillerrie arrivent de trois côtés. Malheureusement, ils visent plutôt juste. En très peu de temps, nous déplorons déjà des morts et plusieurs blessés. L'ordre est donné aux sentinelles de rester sur place tandis que tous les autres se retranchent à couvert le plus vite possible. Nous ne restons pas longtemps, car les postes qui gardent l'entrée nous crient déjà "sortez, sortez !". Dans le boyau étroit, l'un de nous tombe devant les autres. Une fois dehors, nous voyons 20-30 Français qui se faufilent avec des grenades à main vers notre blockhaus, gardé par seulement 9 hommes. Mon groupe tout entier riposte immédiatement, mais plusieurs tombent tandis que les autres progressent, arrachent des sacs de sable devant le blockhaus et lancent des grenades. La garnison se défend et des tirs d'artillerie résonnent en continu. Chez les Français, ça tombe aussi l'un après l'autre, et soudain les voilà tous disparus - a priori ils ont sauté dans une tranchée et se replient vers leur position. Les tirs d'artillerie font rage avec une violence inouïe depuis près de 3 heures. Un petit groupe armé de grenades est envoyé en renfort vers le blockhaus. Notre position est très clairsemée et les barbelés presque complètement détruits. Von Ranchhaupt demande des renforts, et vers 20 heures la compagnie cycliste arrive sur place. Il était temps, car voilà les Français qui descendent en furie de la montagne, nous les recevons à grand renfort de détonations de fusils et de mitrailleuses mais ils parviennent jusqu'à nos barbelés et nous nous livrons une bataille de grenades comme je n'en ai encore jamais vue. Les chasseurs alpins sont incroyablement tenaces, certains sont déjà à 10 mètres de nous dans le fil  de fer barbelé et il en arrive toujours plus. Le tumulte est à son comble, les Français jettent des grenades au hasard. La plupart explosent devant ou derrière nous et ne provoquent par conséquent que peu de dégâts. Difficile de dire depuis combien de temps dure le combat, il semble toutefois ne jamais s'arrêter. Au final, l'attaque cesse mais on ne compte plus les morts et les blessés. Rien que dans notre boyau, nous déplorons 9 morts et 21 blessés. Tout devient très calme, seules quelques détonations résonnent de temps à autre. En revanche, on n'entend plus le bruit des grenades. De même, l'artillerie, demeurée silencieuse au cours du combat rapproché, n'a pas encore repris. Nous faisons prisonniers les blessés Français qui sont devant nous. Certains viennent d'eux-mêmes, d'autres tentent de se relever mais sont trop faibles pour réussir. Nous tentons de les récupérer mais on nous tire dessus depuis les lignes françaises. Nous abandonnons l'idée. Beaucoup auraient sans doute pu être sauvés, et le soir nous en retrouvons encore quelques-uns vivants ".

Commentaires

  • Claude GIRARDI
    • 1. Claude GIRARDI Le 05/09/2016
    Très beau site, bien réalisé, bravo, j'y reviendrai. Nous nous étions rencontrés il y a trois mois.
    Bien à vous, Claude

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